Note d’intention Coeur de chien

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«Qu’est-ce qui m’empêche de dire la vérité en riant?» Horace

Coeur de chien, c’est tout d’abord l’univers de Boulgakov, inspirant, drôle, dérangeant, extraordinaire. Une folie qui tire tous azimuths vers la farce, l’absurde, le fantastique, la satire politique et le métaphysique. C’est un ton caustique et des images farfelues.

Coeur de chien, c’est aussi un personnage attachant. Un chien gouailleur, un peu canaille, un peu cabot, très naïf et influençable. Une figure à laquelle l’on s’identifie immédiatement. Par la magie de Boulgakov, nous voyons l’absurdité du monde à travers les yeux du chien. Celui qui choisit de se prénommer «Polygraphe», comme le détecteur de mensonges (invention toute récente dans les années 20), joue le rôle de révélateur: l’humanisme affiché du professeur trouve rapidemment ses limites dès lors qu’il perd le contrôle. Lorsque les conséquences de l’expérience deviennent trop inquiétantes, on fait marche arrière. Que l’humain redevienne chien! Nous en serons quittes pour un cauchemard. Il y a bien un chien qui gardera des maux de têtes et de vilains rêves, mais puisqu’il est au chaud et qu’il mange à sa faim, comment en voudrait-il au professeur ?

Quant au comité d’immeuble, il défend les intérêts du nouveau citoyen, certes, mais c’est avant tout pour se venger du professeur. Qui prend réellement le temps de demander ce qu’elle veut à la nouvelle créature? Qui prend en compte le temps dont elle a besoin pour changer ses habitudes?

Paternalisme autoritaire et utopisme exalté sont renvoyés dos à dos.

Boulgakov écrit cette nouvelle fantastique en 1925, il y distille ses doutes et ses peurs quant à la nouvelle société issue de la révolution bolchevique, sans idéaliser la société pré-révolutionnaire représentée par le professeur. Presque cent ans après, ce récit sur le mythe de l’apprenti sorcier n’a rien perdu de son ironie mordante. La satire sur la volonté de créer un homme nouveau, que ce soit par le biais de la recherche scientifique ou celui de l’idéologie résonne avec toujours plus d’actualité.

Lorène Ehrmann, metteur en scène